Qu’en est-il du droit sur la nudité en France ?
Le droit pénal en France s’intéresse à la façon dont le citoyen peut se vêtir. Il encadre la liberté de se vêtir en prohibant l’absence de vêtement dans l’espace public ou l’excès de vêtements par la dissimulation du visage au sein de l’espace public. Par ces deux textes, le droit pénal régit l’exercice de la liberté de se vêtir par souci de préservation de l’ordre public. Ces deux textes d’incrimination, même si les terminologies employées se distinguent, évoquent une publicité : « un lieu accessible au regard du public » pour l’exhibition sexuelle et « l’espace public » pour l’interdiction de dissimulation du visage.
Ces deux textes qui s’opposent, se retrouvent pour autant sur un point commun mis en exergue par les autorités : le trouble à l’ordre public pour interdire l’absence partielle ou totale de vêtements, ou bien l’excès de vêtements sur la voie publique ou dans des lieux publics.
Si, au regard de la décence, l’intervention du droit pénal à propos de l’absence intégrale de vêtement fait débat sur le droit à la nudité en tout lieu revendiquée par certains militants naturistes, l’article 222-32 a été débattu plusieurs fois à l’assemblée nationale. En 1990, des parlementaires s’inquiétaient de savoir si le projet d’art 222-32 ne menacerait pas le naturisme et il leur avait été répondu, que ne seront incriminées les attitudes obscènes et provocatrices qui sont normalement exclues de la pratique du naturisme. Sauf que par la pratique du naturisme, il était implicitement invoquée la notion d’une probable pratique conforme à la définition internationale du naturisme, qui est depuis 1974 : « le naturisme est une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par une pratique de la nudité EN COMMUN, qui a pour but de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et celui de l’environnement ». Et la mention de nudité en commun, renvoie inévitablement sur une pratique commune dans des lieux spécifiquement dédiés à la pratique de la nudité. Or, jusqu’à preuve du contraire, les individus souvent condamnés pour la pratique de la nudité dans l’espace public sont des individus vus et interpellés seuls.
Contrairement aux idées reçues, l’article 222-32 a fait l’objet de plusieurs réécritures, dont la dernière survenue Le 23/04/2021 avec l’ajout de la définition de l’exhibition sexuelle en alinéa 2 et le renforcement du délit en alinéa 3. Mais l’alinéa 1 n’ôte pas pour autant la publicité de l’acte dans un lieu accessible au regard du public, ce qui laisse penser que la simple nudité dans un lieu accessible au regard du public, reste selon l’intention de l’individu qui se promène nu, un délit suivant comment les juges interprètent l’intentionnalité du nudiste interpellé.
- L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
- Même en l’absence d’exposition d’une partie dénudée du corps, l’exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d’autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d’un acte sexuel, réel ou simulé.
- Lorsque les faits sont commis au préjudice d’un mineur de quinze ans, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende.
Pour NATure Hommes, il reste néanmoins difficile de différencier dans cette réécriture, le naturiste, de l’exhibitionniste qui raccroche l’imperméable pour endosser malignement l’habit de naturiste et qui se promène ou s’exhibe pour mettre les autres mal à l’aise par sa nudité ou se mettre en quête d’une autre forme de plaisir que celui de profiter de la nature.
S’il est difficile d’interpréter la loi, n’est-il pas difficile d’interpréter une attitude ? En témoigne des situations diverses ci-dessous (photos trouvées sur Google) : Alors naturistes ou exhibitionnistes ? Chacun aura bien évidemment son interprétation.
L’activité même de juriste implique de dégager le sens des textes et donc de les interpréter. C’est d’ailleurs ce que font aussi, les fédérations, avec des avis qui divergent puisque la Ffn souligne qu’il est préférable de pratiquer là où nous y sommes autorisés, quand d’autres associations, disent que la nudité dans l’espace public n’est plus illégale depuis la réforme du code pénal de 1994. La vérité se situe entre les 2. La simple nudité semble effectivement dépénalisée à la condition de prendre soin de n’être vu de personne, ce qui suppose, pour le naturisme en liberté, de choisir un lieu à l’abri des regards, ou de montrer une réelle intention d’avoir pris un ensemble de précautions pour ne pas être vus.
On voit souvent les militants naturistes se déchirer sur l’article 222-32 du code pénal, mais, on ne peut quand même pas tomber dans la tautologie qui consiste à considérer que toute personne interpellée nue est obligatoirement un(e) naturiste. L’absence d’habit ne fait pas nécessairement le naturiste. On ne peut pas interpréter de la même façon le comportement d’un retraité multirécidiviste de la commune de Corps-Nuds qui marche nu autour d’un étang avec pour incidence que des villageois ne veulent plus se promener autour de l’étang par peur de le voir avec le comportement d’un autre retraité de la commune de Lanton, qui s’est isolé à plus de 200m du public, derrière un parasol, sur une plage bordelaise pour ne déranger personne. Si la nudité est leur dénominateur commun, leurs comportements, leurs visions dans la pratique de leur nudité diffèrent. Dans un cas, nous avons affaire à un trouble à l’ordre public avec une personne qui ne vise qu’à satisfaire sa volonté individuelle d’être vu nu sans égard pour les réactions de ces concitoyens. Dans l’autre cas, nous avons une personne qui s’est montrée pacifiste par un comportement de respect vis à vis des autres baigneurs, en prenant tout simplement soin de s’éloigner pour se mettre à l’abri des regards. L’intentionalité n’est absolument pas la même pour ces 2 personnes et c’est ce qui explique probablement que le retraité de Corps-Nuds a vu sa peine confirmer en appel à Rennes alors que le retraité de Lanton s’est vu relaxé par la cour d’appel de Bordeaux. La récidive du retraité breton a probablement été un élément déterminant dans la peine prononcée qui, est bien sévère pour un simple balade nudienne. Mais nous n’avons en réalité que peu d’informations sur ces affaires juridiques. Les associations de défense se gardent bien de donner tous les éléments, voire elles les vulgarisent pour faire des similitudes entre plusieurs affaires bien différentes, dans le but de montrer l’incohérence des jugements entre condamnations et relaxes.
Le focus sur le nu et le droit expliqué par Olivier Le Bot, professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille, nous éclaire sur l’interprétation de la loi, en disant avec simplicité : Le fait d’être nu au milieu de personnes que cela ne gêne pas est autorisé ; mais le fait de montrer sa nudité à des personnes qui n’y ont pas consenti est interdit. https://actu.dalloz-etudiant.fr/focus-sur/article/le-nu-et-le-droit/h/57e9a7659d73aba85342921efee3e117.html
A ce titre, le tribunal administratif de Paris, dans le cadre de la requête d’annulation de l’arrêté du 7 septembre 2019 de la WNBR de Paris a souligné : L’infraction d’exhibition sexuelle réprimée par l’article 222-32 du code pénal ne constitue qu’une atteinte limitée à la pratique collective du nudisme, dès lors qu’elle ne vise à interdire l’exhibition de tout ou partie de son corps à la vue du public que dans des lieux ouverts au public, ce délit ne pouvant être retenu pour des nudistes se rassemblant dans des lieux spécifiquement aménagés à cet effet ou dans des lieux publics non accessibles aux regards du public. Cette mention suffit à mettre en évidence que la nudité est bien dépénalisée dans l’espace public dès lors qu’un individu ou un groupe d’individu prend la peine de soustraire sa nudité au regard du public. Mais soustraire sa nudité ne signifie pas pour autant se masquer négligemment le sexe avec son tee-shirt en restant les fesses à l’air en demandant aux témoins involontaires si cela les choque.
L’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en septembre 2022, n’a d’ailleurs pas consacrer le principe de la nudité en tout lieu. En clair, cette jurisprudence traduit que la nudité publique ne sera pas condamnable à une double condition : Ne pas avoir un comportement obscène ou sexuel, ni d’attitude provocante ET se trouver dans un endroit isolé, c’est à dire un lieu où l’on n’a pas la volonté ou la conscience d’être vu. C’est cette 2nd condition qui accable le retraité de Corps-Nuds, car il ne peut raisonnablement invoqué ne pas avoir compris la portée de l’article 222-32 dès lors qu’il a été précédemment déclaré coupable pour les mêmes faits, au même endroit, à quatre reprises.
L’argument de la nudité légale en tout lieu n’est donc toujours pas un principe admis par les tribunaux qui classent « l’exhibition de la nudité » comme un délit d’exhibition sexuelle et donc que chaque dossier continuera de s’apprécier au cas par cas, lorsqu’une personne nue aura été signalée et interpellée. Le principe pour caractériser l’exhibition sexuelle n’est finalement pas si éloigné de la Grande Bretagne ou c’est le procureur qui doit prouver que la personne interpellée a eu un comportement volontairement agressif et que sa nudité avait pour but de choquer autrui. Quoiqu’il en soit, la justice ne peut pas être binaire. Cela ne peut pas être blanc ou noir ! Les cours et tribunaux doivent pouvoir apprécier in concreto les faits qui leur sont soumis et les principes directeurs qui se dégagent de la jurisprudence pour rechercher l’intentionnalité et permettre d’assurer, d’une part, la cohérence de la répression et, d’autre part, l’indispensable sécurité juridique.
La rhétorique des associations tient sur le fait que la loi actuelle méconnait les articles 10 et 11 de la DDHC ou les articles 8/9 et 10 de la CEDH. Cette rhétorique, est rabâchée de manière quelque peu indigeste par une volonté systématique de dire que la nudité pratiquée autour d’un étang, sur une plage ou sur un sentier forestier relève d’une philosophie de vie personnelle afin de mettre en avant la violation des articles 8 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme. A ce titre, la Cour d’Appel de Rennes, dans l’affaire du naturiste extrémiste (Rennes – Arrêt n°22/140 du 08 novembre 2022) a précisé : Si le fait de s’exhiber nu en public peut effectivement constituer une forme d’expression politique ou relever d’une philosophie de vie personnelle, la restriction imposée par l’article 222-32 du code pénal, qui constitue une ingérence dans les droits garantis par les articles 8, 9 et 10 de la Convention européennes des droits de l’homme, a pour finalité de préserver les droits à la tranquillité, à la sécurité et au respect de la pudeur des autres citoyens. De toute évidence, c’est l’obstination de ce nudiste à continuer de se promener nu autour d’un étang public après 3 précédentes condamnations et alors que des riverains n’osent plus s’y promener par peur de le croiser, qui a été sévèrement condamnée par la cour d’Appel de Rennes.
On se rend compte que la rhétorique sur la violation du droit est encore insuffisante pour faire reconnaître que la loi française autorise la simple nudité en tout lieu, depuis 1994. La notion de publicité de l’acte et la notion de gêne exprimée par les citoyens vis à vis d’une personne nue dépendra non pas de son état (nudité), mais de son attitude, (intentionnalité).
Dans sa jurisprudence de 2014, pour l’affaire du marcheur nu britannique qui ne s’est d’ailleurs jamais revendiqué adepte du naturisme, la CEDH avait conclu qu’il n’existe pas de droits de l’homme à se promener nu dans les démocraties modernes et que nul, ne peut imposer de façon répétée, une conduite antisociale (nudité) à d’autres membres non consentants de la société.
Dans son arrêt rendu dans l’affaire Gough contre Royaume-Uni (requête no 49327/11), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée), ni violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme. L’affaire porte en particulier sur la plainte de M. Gough relative aux arrestations, poursuites, condamnations et périodes de détention répétées dont il a fait l’objet en Écosse pour atteinte à l’ordre public parce qu’il était apparu nu dans des lieux publics.
La Cour juge qu’apparaître nu en public était pour M. Gough une manière d’exprimer son opinion sur le caractère inoffensif du corps humain. Elle admet que l’impact cumulé des nombreuses peines d’emprisonnement qu’il a purgées en Écosse plus de sept ans au total est sévère. Elle insiste néanmoins sur la propre responsabilité de M. Gough quant aux condamnations et peines prononcées face à son refus délibéré de respecter la loi durant un certain nombre d’années. Elle évoque également le devoir de tolérance et de sensibilité de M. Gough face au point de vue des citoyens, qui risquaient d’être alarmés et choqués sur la nudité. Elle souligne que d’autres voies s’ouvraient à lui pour exprimer ses idées sur la nudité.
Elle conclut que la longue détention subie par lui a été le résultat des atteintes répétées au droit pénal qu’il a commises en ayant pleinement conscience de leurs conséquences, à travers une conduite contraire aux bonnes mœurs qui ont cours dans toute société démocratique moderne. Eu égard à la latitude laissée aux autorités nationales en la matière, la Cour conclut à la non-violation de l’article 10. Elle estime également que, même si la conduite de M. Gough entre dans le champ de la protection de la « vie privée » au titre de l’article 8, les mesures prises contre lui étaient justifiées pour les raisons exposées sous l’angle de l’article 10.
Enfin, dans l’arrêt Eloïse Bouton (point n°50), la femen condamnée pour avoir simulé un avortement dans une église à Paris, la cour Européenne a souligné qu’elle n’a pas à se prononcer sur les éléments constitutifs du délit d’exhibition sexuelle. En l’espèce, il ne lui appartient pas de déterminer s’il y a lieu ou non de tenir compte des mobiles de la personne poursuivie pour caractériser ce délit. Il incombe en effet au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit national et, après avoir apprécié les faits en litige et leur contexte, et recherché si les éléments constitutifs de l’infraction étaient réunis, de conclure ou non à la déclaration de culpabilité du prévenu (voir, parmi beaucoup d’autres, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII).
La France n’a donc pas été condamnée au regard de l’article 222-32 de son code pénal, mais pour la peine d’emprisonnement avec sursis jugée disproportionnée.
A partir de là, il apparait difficile d’envisager porter devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, un dossier pour un nudiste interpellé dans un espace public, au motif que nos instances juridiques et le représentants de l’état méconnaissent le code pénal français, comme l’expose M. Jean François Feunteun, de l’association le Mouvement Naturiste. Sauf bien évidemment à vouloir expliquer qu’un individu qui se promène nu, manifeste pour défendre la cause naturiste plutôt que le simple plaisir personnel de se promener nu où bon lui semble. Une argumentation bien peu crédible jusqu’ici, d’autant que la CEDH vient de s’exprimer sur le sujet des manifestations en nudité intégrale dans l’arrêt APNEL contre France à propos de la WNBR Paris 2019. (Requête no 42156/23). La CEDH ayant en effet admis que l’interdiction qui a été opposée aux associations organisatrices de la WNBR parisienne dans l’espace public a constitué une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais que cette ingérence avait une base légale (l’article L. 211-4 du code de la sécurité publique et l’article 222-32 du code pénal), et poursuivait un but légitime, la défense de l’ordre. Cette interdiction de circuler nu sur des vélos dans les rues de Paris n’était pas, selon l’appréciation de la CEDH, disproportionnée au but légitime poursuivi.